lundi 13 mai 2013

Ruine

Nous payons, parfois cher, le droit d'entrer dans des monuments antiques dont ne reste qu'un squelette.
Ce squelette atteste que là, des hommes ont bâti et que au travers le temps ce témoignage nous est resté.
Le bois, ce bois n'est il pas un peu aussi un témoin. Témoin qu'il y a de nombreuses années, une cenelle d'aubépine a été prélevée par un oiseau. Mettons, un merle. Que ce merle a apprécié ce fruit, que satisfait, il s'est posé un moment.
Là où est cette haie vive.
Là où bien plus tard je me suis trouvé dans l'obligation de couper cet arbre.
Que, entre temps un insecte, une secte d'insectes, trouvant cet arbre suffisamment affaibli, par les années, par les aléas, ont trouvé opportun d'y pondre leur descendance. Que laborieuses, les larves issues de cette ponte y ont accompli leur oeuvre en trois dimensions. Que même, des générations se sont succédées dans cette besogne pour en finale transformer ce crataegus en cadavre debout...
Et c'est là que j'interviens, tourneur fossoyeur...disons plus à propos tourneur embaumeur.
Et c'est cette histoire que je vais raconter.


Est ce dû à une vidéo que j'ai regardée sur youtube...mon épouse prétendra que oui.
En réalité j'y pensais depuis longtemps. Enfin, depuis quelques temps.
Donc ce n'est pas cette vidéo montrant le démontage d'un séquoia de soixante mètres qui m'a influencé, non, j'avais déjà remarqué que cette aubépine montée en arbre n'était plus en bonne santé. Mais cet hiver j'avais vu les trous des vers, je savais que certaines branches étaient sèches. Mais par acquit de conscience, j'ai attendu les bourgeons pour être certain.
Et certain, je l'ai été. Tout l'arbre était mort sur pied.
Alors le dimanche 5 mai, on l'a démonté, seule chose faisable au milieu de toute cette végétation (qui fait mon plaisir) 01

J'ai donc maintenant un certain stock d'aubépine, attention aux méchantes petites épines trapues qui peuvent rester à même le tronc.02
Une partie est pas mal squattée par des vers mais l'autre est saine, elle en a l'air du moins et la sève ne montait plus. Mais attention, il faudra être prudent car un tronçon exposé au soleil présentait des fissures après un jour. Donc les plus précieux morceaux sont en cave et il faudra les surveiller.
Le reste me fait un bon bois de feu paraît il, enfin, il n'y en a pas des masses.

Donc, ainsi que prévu, j'ai prélevé un tronçon avec pas mal de traces. Entre pointes j'ai commencé à le cylindrer 03 découvrant quelques copropriétaires qui ont du subir la loi du plus fort 04
et j'ai rapidement compris qu'il ne sera pas possible de compter sur ce bois pour une prise mandrin. 
Puisque j'ai de la matière sous la main, j'ai collé un martyr qui est plutôt un manchon dans lequel le bois suspect rentre profondément et j'ai profilé ça pour une prise en compression 05 et 06
Du côté où je vais creuser, j'ai aussi collé un anneau en bois sain d'aubépine de façon à ménager un bord correct qui ne s’effrite pas...07
Et pour le creusage deux garanties valant mieux qu'une seule, j'ai entouré la portion qui me paraît la plus fragile avec de la bande adhésive. 08
Voilà, le creusage est considéré comme terminé, on ne reviendra pas sur ça. on n'a d'ailleurs pas intérêt 09

Mais où ai-je donc mis les pieds ? Plus ça va moins je vois comment je vais m'en sortir.
J'ai commencé à enlever les déjections de vers qui colmatent les trous 10 (il faut bien si je veux de la dentelle) et sur un des côtés les portions de bois qui restent entre les trous des vers ne sont pas en presqu'îles...non, ce sont des îles ! 
Il faut donc bien qu'à certains endroits je fasse des ponts en époxy...et dire que je vais devoir remettre ça au tour !
l'époxy a été placée en utilisant un coffrage moulé en plasticine ce qui donne une jonction avec le col 11

Il ne faudra pas trop jouer avec des masses d'époxy, parce que esthétiquement, ce n' est pas trop esthétique. 
Mieux vaut des vides, mais là il n'y avait pas le choix. on va maintenant devoir rectifier ça sur le tour. Pour sécuriser avec un appui sur contre pointe (sans serrer surtout...) j'ai tourné une empreinte que je fixe sur ma pointe Nova® et en y allant délicatement 12
Bon, jusqu'ici il n'y a pas encore eu de drame et voilà où j'en suis le jeudi 9 mai au soir
Journée du vendredi, lente progression (sans doute vers le désastre) renforcement systématique par l'intérieur si possible des morceaux qui autrement se désolidariseraient.

Mais, voilà que le renfort d'Epoxy, cette consolidation soigneusement rectifiée, fait tache. 
Elle fait tache de par sa netteté, ce qui n'a pas échappé aux yeux de mon épouse. Donc, après en avoir discuté...
Le samedi 11 mai,après avoir fait un petit essai; je me sens obligé de refaire un travail de larve qui s'intégrera mieux dans le contexte de cette ruine. J'ai donc recreusé à l'identique sur une petite profondeur. J'ai réduit des morceaux de conglomérats laissés par les vers en fine poussière. J'ai tapissé le fond de mes "galeries" avec de l'époxy liquide et j'ai généreusement saupoudré avec la poussière d'origine...13
J'ai ensuite continué sur la dangereuse piste de la désobstruction consolidation pour me décider en fin du compte à couper le cordon et terminer le fond sur un montage dédié 14.
Je ne vois qu'un titre qui convient: Ruine
le problème maintenant sera de lui trouver un "socle" qui convient.Dans cette attente, je l'ai provisoirement posé sur un trépied en lames de verre qui appartient à une autre pièce.
 ce travail,  comme beaucoup d'autres adresse à la notion de  無常 l'impermanence, la fragilité obligée de toutes choses.
L'inachevé en voie de dissolution.

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